Maman avait un panier en osier rempli de bobines, de dés à coudre, d’aiguilles, de boutons, d’anneaux, d’agrafes. C’était un vrai petit jardin où erraient les songes de maman. Un fil bleu ouvrait une porte sur le ciel. Sur un fil vert marchaient des funambules, des feuilles, de petits perroquets, des paons, un oiseau avec une ombrelle rouge, un chagrin vespéral sans cause, jusqu’à ce qu’ils parviennent, à petits sauts répétés, sur le tambour à broder de maman tendu de satin. Moi, j’ôtais chaque jour une parcelle des arbres, de la lumière, de l’air, et je l’ajoutais à la broderie de maman. Jusqu’à ce qu’il se produise, peu à peu, un échange secret entre notre maison et la campagne. Nos meubles cédaient leur place à des oiseaux, des sources, des buissons. Ainsi, la campagne se vidait progressivement de sa verdure pour se remplir de canapés, d’armoires, de miroirs et de rideaux. Papa, semble-t-il, ne se rendait pas compte de cette transformation car il continuait à secouer la cendre de sa cigarette au-dessus d’un lys - c’est-à-dire à l’endroit précis où se trouvait jadis le cendrier. Maman et moi, nous nous regardions à la dérobée et nous hochions la tête en souriant. C’est à cette époque que je me suis mis au tabac pour dissimuler mes yeux derrière la fumée. Plus tard, je vis un enfant qui tenait un panier identique et vendait des cerises. Je l’ai aussitôt aimé. « Le panier de maman! » lui dis-je. L’enfant me regarde. Il tire deux cerises pour me les offrir. Maman n’est plus là pour que nous hochions la tête à l’unisson en souriant. « Merci », lui dis-je. Je lui donne deux sous. « Mais je t’en fais cadeau, proteste-t-il, je ne veux pas d’argent! » Il a jeté les deux sous à mes pieds. Je les ai ramassés. Je tiens les cerises dans ma main gauche. Je me propose de planter leurs noyaux dans deux dés à coudre du panier de maman. C’est sûr qu’il y poussera deux cerisiers à l’endroit où ses mains brodaient. Ils auront cette expression clémente qui était bien à elle. « Merci », lui dis-je à nouveau. Car je l’aimais beaucoup et ne pouvais me fâcher.